Depuis la route, on voit de loin les collines d’agrégats, vestiges d’anciennes routes recyclés pour en faire de nouvelles. Leur noir de jais détonne avec les tas de granulats, fragments de roches couleur sable, stockés à leurs pieds et le jaune vif des installations. Reçue en kit et construite sur place, à proximité immédiate du tracé de l’A69, la centrale d’enrobés de Puylaurens est entrée en activité le 13 novembre dernier. Cette usine provisoire, qui sera démontée à l’issue du chantier, fonctionne comme 500 autres usines d’enrobés actuellement en activité en France selon les chiffres de l’État et du concessionnaire Atosca. Agrégats et granulats y sont mélangés au bitume, chauffé dans des cuves pour qu’il se liquéfie et joue son rôle de liant. Le tout, appliqué en trois couches successives sur 53 kilomètres, formera l’enrobé de la future chaussée de l’autoroute entre Castres et Toulouse.
« Les granulats arrivent un peu humides dans un tube malaxeur. On les monte à une certaine température pour qu’ils réchauffent les agrégats d’enrobés qui entrent en milieu de cycle. En fin de cycle, on incorpore les poussières générées par le processus de fabrication et le bitume qui va enrober chaque petit caillou et agir comme une colle pour qu’ils restent bien collés entre eux et que l’on puisse rouler dessus. L’enrobé monte dans une trémie de stockage et il est ensuite prêt à partir sur le terrain, à une température de 150 à 180°, vers les ateliers d’application », explique François Baudonnet, directeur de travaux chaussée.
Quelque 500.000 tonnes au total de ce revêtement doivent être produites sur toute la durée du chantier, réparties entre la centrale d’enrobage de NGE à Villeneuve-lès-Lavaur, encore en phase de test et opérationnelle à partir de début janvier, et celle de Puylaurens, sous la responsabilité de Spie Batignolles Malet, déjà en activité. Ce matin de novembre, sa cheminée ne fume pas, signe que l’usine, utilisée pour l’heure « en pointillé » pour de menus chantiers, des ronds-points par exemple, est à l’arrêt. L’installation devrait monter en puissance début décembre pour fabriquer les enrobés qui serviront à rénover la chaussée des déviations de Soual et Puylaurens après leur rabotage en surface. Et tout début janvier, ils devraient être posés sur la déviation de Verfeil.
Autorisations ICPE
Les collectifs Sans bitume, qui se sont constitués à partir de novembre 2023 pour dénoncer « la dangerosité des rejets des usines à bitume pour la santé des riverains », pointent aussi leur « mise en service à marche forcée » avant l’audience sur la légalité de l’autoroute prévue le 11 décembre prochain devant la cour administrative d’appel de Toulouse. Ils s’inquiètent des risques de pollution liés à l’activité des deux usines alors que le concessionnaire Atosca a déjà fait l’objet d’une cinquantaine de rapports de manquement administratif et de plus de quinze mises en demeure par la préfecture pour non-respect des procédures. « Comment croire qu’Atosca (…) accordera plus d’attention aux pollutions atmosphériques qu’à la pollution des nappes phréatiques », s’interrogent les collectifs qui demandent un engagement écrit sur l’arrêt des centrales en cas de dépassement des seuils.
« Ces centrales sont des installations classées pour la protection de l’environnement. Les ICPE nécessitent des autorisations spéciales et sont placées sous le contrôle de la Dreal. Une autorisation ICPE impose certaines contraintes réglementaires en matière d’émissions et de contrôle des polluants. Tant qu’on reste dans les seuils réglementaires, on est conforme à l’autorisation qui nous est accordée et aucun problème ne se pose en matière de qualité de l’air (…) Si nous les dépassons, nous avons les moyens de corriger en améliorant les filtrations », a déclaré durant une visite de presse de l’usine de Puylaurens Walter Guyonwarch, directeur du groupement conception construction.
Le patron du chantier de l’A69 met aussi l’accent sur la mise en place du plan de surveillance de la qualité de l’air confié par l’État à l’Ineris, Institut national de l’environnement industriel. Il s’appuie sur un réseau de capteurs installés autour des deux centrales, notamment des écoles, dont les mesures de polluants seront publiées sur le site de la préfecture du Tarn dans un « délai de quatre semaines après chaque campagne. « Ce plan de suivi vient en plus, il s’ajoute au cortège des obligations réglementaires de l’ICPE », souligne Walter Guyonwarch.
Signalement des incidents
Dans le cadre du suivi des deux centrales, les services de l’État ont aussi lancé un dispositif, selon eux « inédit », de signalement des nuisances, éventuels bruits, odeurs, émissions visibles dans un rayon de 3 km autour des deux centrales. Il prend la forme d’un questionnaire en ligne accessible via une adresse mail et un QR code depuis le site de la préfecture. « La Dreal réceptionne les signalements et les réclamations et nous envoie les questionnaires. Notre délai de réponse est de 72h. Pour les odeurs, comme c’est quelque chose de subjectif, nous faisons des mesures pour voir si l’on a dépassé les seuils et si besoin, on met des actions en place », explique Farida Nenni, responsable environnement du chantier de l’A69. L’une des réponses pourrait être la diffusion de parfum pour masquer les odeurs de bitume.
Habitants et riverains regroupés au sein des différents collectifs Sans bitume se sont réunis samedi 22 novembre devant la centrale de Puylaurens. Ils contestent « l’auto-contrôle » exercé par Atosca qui a choisi son prestataire, l’Ineris, au détriment de l’observatoire régional Atmo Occitanie. « La surveillance d’Atmo portait sur 21 polluants contre seulement cinq ou six pour l’Ineris. Atmo proposait un système avec des données en direct, qui reposait sur des capteurs actifs dont l’aspiration est plus proche d’une respiration humaine. Avec l’Ineris et ses capteurs passifs, s’il y a une anomalie dans la production, on ne le saura que quinze jours plus tard », explique Marc Reneaux, membre de l’association Lauragais Sans bitume.
Les opposants mettent en avant leur réseau de capteurs « citoyens » Zéphyr, mis au point par des membres de Lauragais Sans bitume. Déployés chez 80 riverains autour des deux centrales et connectés entre eux, ces instruments suivent en continu les particules fines, les composés organiques volatiles et les oxydes d’azote. Ces mesures alimentent une carte actualisée en permanence et accessible sur leur site internet. « Des anomalies dans la qualité de l’air ont déjà été relevées ces dernières semaines », souligne Marc Reneaux. « Mais c’est vraiment début janvier, quand la grosse production d’enrobés va démarrer que les choses risquent de changer. »
Johanna Decorse
Sur les photos : La centrale à enrobés de Puylaurens est entrée en activité le 13 novembre. Elle montera en puissance début décembre pour fabriquer les enrobés de la chaussée des déviations de Soual et Puylaurens après leur rabotage en surface. Crédit : Rémy Gabalda-ToulÉco. // François Baudonnet, directeur de travaux chaussée, présente le fonctionnement de la centrale d’enrobés de Puylaurens. Crédit : J.D. // Sur le tracé de la future A69 au niveau de Saint-Germain-des-Près, dans le Tarn. Crédit : J.D. // Dans le cadre du suivi des deux centrales, l’État a aussi lancé un dispositif de signalement des nuisances accessible via un questionnaire en ligne. Crédit : J.D. // Des riverains réunis dans les différents collectifs Sans bitume se sont réunis samedi 22 novembre devant la centrale de Puylaurens. Crédit : Lauragais Sans Bitume.




